Voyez ce vanneau aller, la coquille sur la tête!

Oh!

Rappelez-vous toute l’imagerie de la Révélation, façon tableau pompier. Allez : rayon de lumière tombant sur le visage, yeux écarquillés, dessillés, bouche en cul-de-poule, face stupéfaite, bras incomplètement écartés - l’ermite hâve, mangé de mauvaise barbe, qui à trop errer dans le désert, reçoit soudain le message divin, comme un coup de massue. Rideau; à oublier !
Elle est venue par petites touches. Elle s’est glissée lentement. Tant de recours, de faciles distractions. Ma première nièce, poupine, une porcelaine. Posée sur le tapis, un morceau de puzzle en bois en main, et voilà : capable de passer des heures, seule dans de mystérieuses pantomimes écourtées par la portée de ses bras menus, sans jamais ni cri ni pleur. Je m’y reconnaissais : n’est-ce pas pour mon plus grand malheur que, seul entre quatre murs, je ne sache jamais m’ennuyer ? Puis des confrontations de calendrier. Les appels non retournés, puis qui se font rares. L’égrènement des faire-part. Comme ça grandit et toi quoi de neuf oh moi tu sais. Ce visage dans le miroir, les trois secondes matinales de déchirement, Petia, pourquoi être devenu si laid.

Je me félicitais de ma bonne composition, de savoir mûrir sans aigrissement, de ne jamais grimacer devant la rasade quotidienne de vinaigre. Je me croyais bonne pâte, facile à tout, à tous et à toutes : laisser chacun vivre seul, libre, sans faire de mal, comme un éléphant dans sa forêt. "Bonne pâte" ! De la pâte dont on fait - dont a toujours été fait ! les vieux garçons. Célibataire endurci, indécrottable solitaire, le bourru acrimonieux sans la rémission du dernier acte, enchaîné dans ses habitudes. Une acariâtreté passe-partout car de courte haleine. Jamais plus de sourire narquois sur des lèvres aimées; jamais plus rien de nouveau : vieux garçon je resterai. Déjà se dessine la suite. Je me satisferai à la longue de ce destin tout tracé. Je hanterai année après année de ma silhouette incommode et empruntée les réunions de famille babillantes. J’enlaidirai, lentement et sûrement, dans une succession indéterminée de jours sans victoire et sans joie. Je me fondrai, contours flous, entité flasque, individualité jaugée plus qu’imaginée, simple abstraction, décor - hors-jeu. Je serai l’éternel marcheur dans le brouillard, je poursuivrai mes mirages inexprimables, mes fantaisies stériles impartagées, barbotant tant bien que mal, jusqu’à l’engloutissement final, sordide et muet.