L'entrée
Je suis du modèle : à testicules. Je devrais préciser, sans le besoin de les sortir à tout bout de champ pour les poser sur le buffet.
Je suis né fatigué. Je dévore le monde d’un baillement, trop souvent pour le dire.
Je suis un taiseux. Je scrute, perplexe et fasciné, le ballet des lèvres infatigables des bavards, en m’interrogeant pour la millième fois sur le pourquoi et le comment de tant de mots. J’opine à intervalles convenables. Parfois, le cercle ne me présente que des dos, sans que les corps ne se dérangent. Non pas que quelqu’un ait jamais eu à se plaindre de moi, mais il faut être un minimum braillard ici-bas pour qu’on vous laisse une place. Je me penche au-dessus des épaules pour entendre.
Je suis en fin de jeunesse, le corps passablement défraichi. Sous éclairage approprié et avec le bon angle, je peux encore présenter une vue décente et faire illusion.
Je ne sais pas regarder. Myope et coquet, je pose mes yeux sans presque y voir. Dans ce brouillard incommunicable, ma longue carcasse posée à la diable, je rêve, poursuivant un long songe embrouillé.
Le sommeil me délave et tout s’efface bien vite, paroles, actes, dates, noms, visages. Rien ne me profite. Je lutte, parfois, avec des bouts de papiers, des journaux, quelques photos, un dictaphone. Le plus souvent, j’oublie que je dois me souvenir. S’il vous plait, rappelez-le moi.