Avec le recul de dix mille kilomètres
Quelque temps a passé depuis ce raid-éclair - mises bout à bout, plus de vingt-quatre heures d’avion, au total. Et c’est déjà plus que fumées. Aurais-je noté à chaud mes impressions de voyage, qu’est-ce que cela aurait changé ? Je n’avais happé que des images : la terre rouge affleurant par endroit; depuis l’autoroute, les ouvriers en salopette serrés à l’arrière des pick-ups, les collines couvertes de cabanes en tôle ondulée; les palissades des compounds, artistiquement crénelés, ébouriffés de barbelés; l’air, les odeurs, jusqu’à la chaleur qui semblait avoir sa qualité propre; les ridicules caquètements offusqués, inquiétants la nuit, d’oiseaux inconnus - peut-être les mêmes qui venaient, boule ramassée sur des pattes trop longues, inspecter la pelouse la griffe tenue un moment en l’air, avec l’air digne d’évêques saouls. Je n’ai rien rapporté. A l’aéroport, attendant l’embarquement du vol retour, je voyais tant d’autres acheter encore de quoi combler la place restante dans leurs bagages à main : bouteilles, cigarettes, viandes séchées, fétiches de bois, tapis tressé ocre et crème. Moi non je m’y refusais. Je n’en avais pas voulu, de ce voyage.
Pourtant, aussi rapide que mon séjour ait été, il a suffi pour ressusciter une réflexion, mâchée et remâchée en d’autres occasions. Un long séjour à l’étranger, quand bien même on s’agite du matin au soir et s’étourdit de nouveautés, c’est mettre sa vie entre parenthèses. On ne vit pas chez soi, alors à quoi bon. Tout fait difficulté : la barrière de la langue; la méconnaissance des usages, d’où trouver les informations, le bon équipement; le marchandage, les contrôles, les autorisations à obtenir. Toute l’énergie d’entreprendre est comme dissipée par frictions. Par contraste, la vie sédentaire prend rétrospectivement un nouveau charme. Ah, là où tout est facile, où tout est à portée de main, où il suffit de volonté ! Terrain propice pour de nouvelles viriles résolutions : revenu, je relancerai mes projets endormis, j’apprendrai à mieux cuisiner, je sortirai plus souvent, je reprendrai les cours… Rien de tout cela ne survit au retour - évidemment.